Déclaration des Enfants de Cambacérès
Depuis quelques années, un nombre grandissant de francs-maçons recherchent un lieu d’échange et de parole, où ils pourraient aborder ce qui les touche dans leur vie privée et dont ils ne peuvent parfois parler qu’avec difficulté au sein de leurs Loges respectives : l’homosexualité.
Le monde profane a rapidement et profondément évolué sur ces sujets au cours des dernières années et il n’hésite plus à en parler de manière ouverte. Le citoyen a été – et continue d’être – largement informé des débats relatifs à l’union des couples homosexuels (PACS et Mariage pour tous), à l’homoparentalité et à tous les autres sujets qui préoccupent les homosexuel(le)s (sanction et prévention des actes et propos homophobes, acceptation des transsexuels…).
En revanche, dans nos Obédiences, le silence règne sur ces sujets comme s’ils étaient encore tabous. Soit leur structure n’est pas conçue pour évoquer d’autres thèmes que symboliques et le sujet n’a pas sa place, soit nos Obédiences font preuve d’un ostracisme plus ou moins larvé au moment d’aborder cette question et ce qui lui est connexe. De nombreux Frères et Sœurs se sentent donc souvent isolés à l’intérieur de leurs Loges alors qu’ils sont venus y chercher Fraternité et Tolérance. Ils sont déçus de constater que les principes mêmes de la Franc-maçonnerie ne sont parfois que des vains mots dont se gargarisent pourtant des ateliers incapables de les mettre en pratique pour cause d’homophobie, latente ou exprimée. La détresse de certains francs-maçons cesse alors d’être un cas d’école pour devenir une dure réalité.
Soyons concrets. Comment expliquer à ses Frères et Sœurs, que l’homophobie n’est qu’une des formes du racisme et qu’elle n’a pas sa place dans un Ordre qui prêche la tolérance ? Une Loge peut-elle refuser l’entrée en maçonnerie à un(e) profane pacsé(e) ou marié(e) à une personne de même sexe et mettre ainsi son Obédience hors la loi de la République, alors même qu’au jour de leur initiation elle déclare à ses membres se soumettre à ces mêmes lois ? Nous connaissons des cas de refus dans des Loges pour cette raison. L’homosexualité a en outre été, comme le prouvent de nombreux exemples, un frein, voire un empêchement à l’accession au Vénéralat ou aux responsabilités dans les Obédiences, comme si le fait d’être différent allait jeter l’opprobre sur l’Atelier ou l’Ordre tout entier.
Pourtant, depuis la création de la Franc-maçonnerie spéculative, de nombreux Frères puis Sœurs ont été ou sont homosexuel(le)s. Rien ne sert de le nier. Plusieurs exemples comme celui de Jean-Jacques Régis de Cambacérès nous prouvent même assurément qu’être homosexuel ne gêne en rien d’assumer pleinement d’importantes responsabilités ! La Franc-maçonnerie peut et doit s’en enorgueillir, car de tous temps ces Frères et ces Sœurs ont été à la pointe du combat pour les libertés et la tolérance, parfois même au péril de leur vie. Ils sont aujourd’hui présents dans de nombreuses organisations et associations profanes, preuve que leur engagement personnel quotidien est à la hauteur du serment qu’ils ont contracté en entrant dans la Franc-maçonnerie. C’est ainsi qu’ils pratiquent au plus haut niveau cette Vertu maçonnique que les rituels définissent, comme préférant à tout la Justice et la Vérité. C’est leur lumineuse Victoire sur les ténèbres de l’ignorance et de l’exclusion.
Ce lieu d’échange réclamé par ces Frères et ces Sœurs a été créé en dehors des Obédiences en 1999, sous la forme d’une fraternelle : « Les Enfants de Cambacérès ». En choisissant la figure emblématique de Jean-Jacques Régis de Cambacérès, nous avons voulu rendre hommage à ce Frère admirable qui ne cacha jamais son homosexualité et dont la figure reste un modèle pour les francs-maçons du monde entier.
Notre fraternelle a fonctionné d’une façon extrêmement confidentielle jusqu’au jour où un magazine ayant révélé notre existence, en termes élogieux toutefois, nous nous sommes retrouvés involontairement sous les feux de la rampe médiatique.
Notre fraternelle, la première au Monde de ce genre, est composée de Frères et de Sœurs de diverses Obédiences, qui ont décidé de ne pas rester en retrait de la société civile et de se rencontrer régulièrement afin de parler librement entre eux de sujets jamais abordés dans leurs ateliers respectifs.
Les Enfants de Cambacérès sont nourris des valeurs de tolérance et de progrès, d’élévation d’esprit et de spiritualité, qu’ils ont reçues dans leurs Loges et qui honorent les formes modernes et traditionnelles de la Franc-maçonnerie. Nous sommes fiers d’en être les dépositaires et les héritiers.
De par notre appartenance doublement minoritaire – choisie comme la maçonnerie, ou involontaire mais assumée comme l’homosexualité – nous formons également un laboratoire d’idées que nous savons combiner de façon originale. Nous réfléchissons à un ensemble de concepts nouveaux, auxquels nos Obédiences se trouveront confrontées tôt ou tard en raison de l’évolution des mœurs dans le monde profane où se recrutent leurs membres.
Ne doutons pas que c’est là aussi, de façon originale, la manière pour des Frères et des Sœurs de bonne volonté, d’apporter leur pierre à l’édifice de la maçonnerie, afin que sa qualité d’Universelle ne soit pas usurpée, afin d’être en plein accord avec cette belle affirmation au sujet de la Franc-maçonnerie, relevée sur un site Internet d’une obédience française : « Qu’est-ce qui caractérise son universalisme ? C’est l’expression de notre « savoir être », qui rejetant les préjugés et l’intolérance, s’exprime par une reconnaissance et un accueil de « l’autre » en faisant abstraction de ses spécificités spirituelles, culturelles et sociales, car en fait ce qui est important, c’est que tout simplement il soit un Frère.